
Que tu prennes depuis longtemps déjà un plaisir insoupçonné à trier méticuleusement tes déchets ; que tu aies acquis une sensibilité écologique sur le tard à la faveur d’un documentaire ponctué de larmes de Yann Arthus-Bertrand ; ou que tu ne suives tout cela que de loin d’une oreille distraite ; sache tout d’abord qu’au Time Club nous t’accepterons toujours tel que tu es.
Mais au-delà de ça, si tu t’intéresses aussi à l’horlogerie Suisse, tu t’es certainement déjà demandé s’il était possible d’intégrer une telle passion dans une logique de responsabilité environnementale accrue et – un soir de réflexion enfiévrée, contemplant la montre qui trônait outrageusement à ton poignet – c’est cette question qui te vint alors en tête : peut-on réellement concilier développement durable et horlogerie de luxe ?
Pour ID Genève et ses fondateurs, la réponse est claire : c’est un grand oui, et c’est là l’essence même de leur projet horloger.



ID Genève, c’est tout d’abord un projet lancé officiellement en 2020 par trois associés : Nicolas, l’entrepreneur ; Singal, le designer ; et Cédric, l’horloger. Ensemble, ils ont mis en place une start-up novatrice qui se veut résolument disruptive dans le monde de l’horlogerie Suisse : il s’agit de proposer une montre écoresponsable issue des concepts de l’économie circulaire et de l’upcycling, et par la même de faire à terme de ces concepts des incontournables dans l’industrie.
Pour faire plus explicite, et comme l’indique le principe de circularité, les trois comparses ont mis au point une montre dont les composants proviennent de matières hors d’usage recyclées, transformées, reconditionnées afin de créer un produit d’utilité supérieure.
L’ultime aboutissement de ce processus de recherche, de récupération et de transformation, c’est leur bébé et tout premier modèle : la Circular One.
La Circular One par ID Genève
Mais ce n’est pas tout : les circuits courts et le localisme sont aussi au cœur du projet. L’acier inoxydable recyclé est en effet issu d’un centre de collecte et de fonte Jurassien récupérant les déchets et copeaux d’acier d’entreprises locales sélectionnés pour leur qualité (acier 4441) puis refondus. Panatere – c’est le nom de ce partenaire – vient d’ailleurs de mettre au point un nouvel acier inoxydable 100% recyclé (et recyclable) qui sera intégré dans les prochains modèles commercialisés d’ID Genève.
Le surcoût de la « sustainability » est estimé à 10% du prix de revient du boitier. Ce 10%, c’est le coût supplémentaire de l’acier recyclé Jurassien, celui que Nicolas appelle « le nouvel or du Jura ». A défaut d’être moins cher, il présente un bilan environnemental impressionnant avec des émissions de carbone dix fois moins importantes qu’un acier nouvellement produit.
La durabilité des garde-temps est quant à elle encouragée par le concept des « circular points », des crédits fournis à l’acheteur afin d’obtenir à l’avenir une révision ou un changement de pièce dans le but d’augmenter la durée de vie de la montre.
La start-up est également totalement transparente sur ses fournisseurs et communique profusément sur leurs activités et leur rôle dans la chaine de valeur.
L’équipe ID Genève, non contente du label Swiss Made que nous connaissons tous, se veut aussi pionnière d’un nouveau label « Circular Swiss Made », qui en plus des garanties du Swiss Made implique aussi des exigences en matière de respect des circuits courts, d’utilisation de matériaux recyclés et application des principes de l’économie circulaire.

Fonctionnement de l’économie circulaire
Cette approche « all-encompassing » du développement durable a attiré notre attention et nous nous sommes ainsi rendus dans les locaux Lausannois d’ID Genève afin d’y rencontrer Nicolas, le fondateur, dans le cadre du Quiz Mouvementé du Time Club ; une entrevue que vous pouvez retrouver en ligne sur nos réseaux.
Ce fut également l’occasion rêvée pour questionner Nicolas, entrepreneur horloger, Alumni EHL et passionné de montres, sur sa vision de Millenial de l’horlogerie Suisse, son expérience d’entreprenariat et son passé d’étudiant. Ce sont là les sujets que nous explorerons dans la suite de cet article (dans laquelle je pris aussi un malin plaisir à lui faire réaliser son autocritique d’individu écoresponsable).

Quand je le questionne sur les difficultés rencontrées par l’équipe pour monter leur projet, Nicolas me demande en riant « Le covid, ça compte ? ». Cette année 2020 n’aura en effet épargné personne, qu’on soit étudiant, professionnel ou en recherche d’emploi et elle aura aussi durement marqué l’univers horloger helvétique.
Le premier confinement Asiatique et le long confinement de l’industrie horlogère Suisse auront sans surprise grandement compliqué la tâche des fondateurs.
En effet, il faut que les partenaires puissent mener leurs activités et la marque a besoin de visibilité pour la réussite de son lancement. Pour pallier ses difficultés, Nicolas a mis en place un système de réservation en ligne (via info@idwatch.ch) pour les showrooms de Genève et Lausanne, où les visites se font par petits groupes de quatre pour voir et essayer le produit avant d’acheter en ligne.
« On a essayé d’être très curieux durant les 12 mois qui ont précédé le lancement[…] C’est une industrie qui a beaucoup d’héritage. »
« C’est pas un choix qu’on avait, c’était plutôt une responsabilité de venir avec un concept comme ça en 2020. »
Une autre difficulté rencontrée fut la grande opacité du secteur de la métallurgie avec lequel ID Genève doit collaborer de près pour se procurer son acier inoxydable recyclé. De la même manière, peu d’efforts de traçabilité sont effectués et cela a représenté une barrière importante à surmonter pour l’équipe.
La curiosité, confie Nicolas, aura été un élément important pour faire face aux difficultés qui se présentèrent dans cette vénérable industrie, et il ajoute avoir posé beaucoup de questions à tous ses fournisseurs et partenaires.
Il conclue en soulignant avec conviction que les grosses industries ont toujours été bousculées par de petits groupes de personnes, et que l’histoire de l’humanité a toujours consisté à trouver des solutions quand nous sommes face à des obstacles. Et quel obstacle, en effet, que celui de la crise écologique !
Quels sont les retours sur votre projet ? Comment voit-on les nouveaux entrants dans le milieu horloger ?
« On est toujours heureux s’ils veulent partager des feedback avec nous. Depuis le premier décembre on est très actifs dans les médias, on communique beaucoup et on a des bons retours. On est aussi très contents des premiers feedbacks qu’on a de la communauté. Dans la ligue des grandes marques, on se doute bien que c’est le projet de certains d’aller dans cette direction-là. En tant que petite marque, en 2020, c’est peut-être plus facile pour nous parce que nous n’avons pas d’héritage horloger et nous sommes une petite structure (désormais quatre membres dans l’équipe). Ca nous permet d’aller plus vite et d’arriver plus vite sur des choses qui sont uniques, différentes et aussi d’être les premiers dans l’industrie. On a envie de tirer toute l’industrie vers un meilleur développement durable. En proposant 100% d’acier inoxydable recyclé sur une montre avec une collecte locale on est vraiment sur une première mondiale, sur une première de l’industrie. Moi, personnellement, j’adore voir les nouveaux venus. Même quand j’étais chez Coca Cola, on regardait beaucoup de petites start-up qui se développaient, c’est très inspirant. J’espère que notre projet pourra influencer certaines marques. »
Pour toi, comment l’industrie horlogère peut se relancer après cette crise ?
« Je pense que c’est une industrie qui se relèvera de toute manière comme après chaque crise, c’est très cyclique. Je ne pense pas qu’il y ait forcément de recette magique. En revanche, là où elle peut aller plus loin et c’est justement ce qu’on a envie d’apporter, c’est ce travail dans les tendances de l’upcycling : retravailler certaines matières et changer la perception des consommateurs au niveau de ces matières recyclées. Je pense que ça va être très important dans l’avenir et c’est une de nos missions en tant qu’identité de marque. Je crois qu’il y a quelque chose à faire dans ce domaine pour toute l’industrie. »
Des personnalités qui t’ont marqué et attiré vers l’horlogerie ?
« En 2010, j’ai organisé une conférence de Jean-Claude Biver à l’université de Genève. Sa personnalité m’a beaucoup touché et l’amour qu’il a envie de donner ; il parle beaucoup d’amour. Je pense que la montre est un objet d’art et il le communique très bien. Il a une très grande passion pour cette industrie et ça m’avait impressionné, sachant qu’il n’est pas d’origine Suisse mais qu’il arrive à avoir autant d’enthousiasme pour une industrie Suisse, je trouve ça exceptionnel.
La deuxième personnalité c’est Gerd-Rüdiger Lang, le fondateur de Chronoswiss, là où j’ai effectué mon premier stage en 2011. C’était une manufacture Munichoise, j’y étais pour apprendre l’Allemand et il n’y avait qu’une seule manufacture dans la ville. Je venais de découvrir le monde des montres, j’ai envoyé mon CV et décroché un stage. J’ai beaucoup travaillé avec lui. C’était l’ancien responsable des ateliers Heuer. Pendant la crise du quartz, il n’avait pas reçu son dernier salaire donc il est parti avec des mouvements Heuer à Munich, il est rentré chez lui et a créé la marque Chronoswiss en 1983.
J’ai eu la chance de le connaître personnellement, de travailler en binôme quelques mois avec lui à Munich. C’est vraiment une très grande personnalité dans l’horlogerie qui a créé beaucoup de choses : le régulateur, le fond saphir ; c’est vraiment lui qui a mis le fond saphir sur les premières montres pour montrer le mécanisme aux gens. Ces deux rencontres m’ont vraiment beaucoup inspiré. »
Ecoute Nicolas parler de la qualité essentielle qui a permis à son équipe de mener à bien son projet.
Clique ici si tu ne peux écouter la douce voix de Nicolas
« La résilience, c’est un motto important et j’en parle beaucoup : don’t take no for an answer. Je dis toujours, dans cette industrie plus que dans d’autres, un horloger va vous dire non et va réfléchir comment il peut le faire. C’est vraiment une résilience qu’il faut avoir pour trouver des solutions, trouver des alternatives, pousser les gens à chercher des solutions surtout dans les partenaires que vous choisissez. Pour moi le mot c’est résilience. »
Ecoute Nicolas donner ses tips aux étudiants.
Clique ici si tu ne peux écouter la douce voix de Nicolas
« Profiter de la vie étudiante, c’est les meilleures années ! J’en suis pas très loin, j’ai gradué en 2015. Ca fait 5 ans ! Ce que je peux vous encourager à faire, c’est sentir votre timing personnel, ne pas se forcer ou se précipiter dans quelque chose. Souvent on a l’impression que le succès c’est un overnight success mais au final c’est beaucoup de travail et de temps dans la même direction. Moi je recommande de faire un petit pas dans cette direction chaque jour. Ca fait depuis 2010-2011 que j’ai un projet en tête dans l’horlogerie et je pense que c’est très important d’avoir un petit pas dans cette direction chaque jour, rester très humble et essayer de bien s’entourer: on va beaucoup plus loin à 4 que tout seul ! C’est vraiment une de nos grandes forces : je suis un peu l’entrepreneur du groupe ensuite on a un designer qui a fait l’Ecal à Lausanne et un horloger Genevois qui est aussi mon meilleur ami. On s’entend très bien tous les trois et on partage certaines valeurs personnelles ; ce qui fait qu’on arrive à se retrouver après 23h en travaillant ensemble et en buvant une bière à la fin de la journée ! »
Vient l’heure fatidique de l’autocritique. Nicolas ! Es-tu seulement autant écoresponsable que ta montre ?
« J’essaye ! C’est une réponse honnête et transparente. C’est vrai que je voyage beaucoup – bon pas à l’heure actuelle – et que je vais avoir tendance à voyager beaucoup à l’avenir pour présenter nos montres à l’étranger. En tout cas j’ai une obligation. Certains de nos cofondateurs sont très tournés vers ce mode de vie écoresponsable. Moi personnellement, j’ai eu un père ingénieur civil Suisse qui a fait l’EPFL et on a connu le recyclage depuis tout jeune, on a vraiment été sensibilisé très jeunes aux métiers du recyclage et ça nous a touché d’une certaine façon. Je mange de tout, je ne suis pas forcément vegan ni végétarien. Par contre je m’attache à manger de la viande de qualité, à manger des produits locaux, à aller faire mes courses au marché local, à acheter des habits et textiles responsables ; j’attache beaucoup d’importance à ça. Aujourd’hui quelque part quand on voit un t-shirt à 5 francs en Suisse, je me dis qu’il y a un problème. J’essaye donc d’acheter des choses qui font du sens, qui aient une certaine cohérence de l’économie locale et globale car on vit quand même dans un monde globalisé et on ne va pas s’enfermer: j’ai un Iphone là, devant moi ! »
Les dernières nouvelles :
ID Genève a organisé une levée de fonds sur la plateforme de crowdfunding Wemakeit. Elle s’est terminée le 15 janvier dernier sur une très bonne note puisque la start-up a pu récolter plus de CHF 273’000.- pour un objectif de 150’000.- (atteint en moins de 48 heures), puis de 200’000.- et enfin de 250’000.- ! 146 montres ont été vendues au total à un prix avantageux de membre fondateur.
Nicolas a confirmé vouloir faire du modèle Circular One le modèle de base de la marque, et il a plusieurs projets dans ses cartons. L’équipe va désormais travailler également sur de nouveaux accessoires et modules pour la montre, avec différentes matières, formes et couleurs. Ils développent actuellement avec leur partenaire métallurgique Jurassien un acier produit avec une énergie solaire. Le bilan carbone de cet acier serait alors 146 fois plus faible qu’un acier neuf.
Un premier bracelet compostable à 100% issu de déchets végétaux d’Europe serait également en cours de développement.
Nicolas, Singal, Cédric, nous vous souhaitons le meilleur pour la suite !
Et pour nos lecteurs, après visionnage de l’interview, nous proposons un peu de « food for thought » : meilleure qualité de production ; surcoûts plus facilement absorbables ; image sociale désirable : et si l’écoresponsabilité était amenée à devenir un nouveau marqueur du luxe ?

Maxime Pastore